C’est bien dans cette allée que tu reposes, calme,
Bordée d’un mur de lierres et d’un bougainvillier
Où les croix te préservent comme les feuilles de palme
Des froideurs de l’hiver, des chaleurs de l’été.
Quelques corneilles survolent l’entrée du cimetière
D’autres écoutent, perchées sur la grille de fer
Les pas lourds qui résonnent sous la voute de pierres,
Les sanglots langoureux des passants solitaires.
Le corps étendu sur un coussin moelleux
Es-tu bien installé dans ton wagon tout blanc ?
Ta grand-mère te veille d’un regard affectueux
Maman est à côté qui dort pareillement.
Ton passage fut rapide du berceau à la bière
L’automne annonçait la fin de la saison
Voilà qu’à peine né il fallut qu’on t’empierre
Un destin prit trop tôt soufflé par l’aquilon.
Je te sens quelquefois, ta présence m’est légère
Tu préserves ma vie de tout inconvénient
Quelque chose qui ressemble à un son éphémère
Une bulle de savon qui éclate au vent.
Petit ange ailé, figurine vestale
Tu as pris tout ton temps pour regarder passer
Les âmes perdues offertes aux bacchanales
Les mêmes visages blêmes des enfants décédés.
Soixante ans ont coulé au fleuve de ma vie,
Bien qu’au gré du courant mes poèmes s’étalent,
J’ai l’étrange impression d’être le plus petit
N’osant pas déranger ta quiétude vespérale.
La mort a ses contraintes et se refuse d’entendre
Que conserver nos larmes en épargnant la vie,
C’est la senteur des fleurs qu’on préfère à la cendre
C’est la tristesse honnit, l’infortune et l’oubli.
Tu n’entendras jamais le vent dans les voilures
Le crissement des mâts dans la tiédeur des nuits,
Le cri des goélands sous les lunes obscures,
Les sirènes de brouillard des bateaux qui s’enfuient.
Tu ne connaîtras pas le long corps des métisses
Que tu découvres un soir caressant leurs contours,
Ni leurs parfums charnels de vanille de réglisse
Qui enivrent les sens et rendent fou d’amour.
J’aurais pu te montrer les fonds bleus des Tropiques
Les déserts arabiques, les Séquoias géants,
Le paresseux grimpant au sourire angélique,
Les péons faméliques, les plus grands continents.
Tu ne verras jamais le loup gris des Carpates
Le marchand de saisons ni le faiseur de pains,
Tu n’entendras pas plus la grêle qui éclate
Que sur ta pierre tombale où se couchent les pins.
Les rires de l’enfant jouant sur la terrasse
Te restent inconnus, ni ses pleurs capricieux,
Ni ses yeux dans tes yeux quand la lumière est basse
Où tu regardes un fils et lui ne voit qu’un dieu.
Quand les anges s’amusent d’habituelles frasques,
D’un grandiose déluge, ils n’imaginent pas
Que faire tomber du ciel des tourmentes des bourrasques
C’est faire rire les cieux, mais pleurer ici-bas.
Un matin je viendrai aux premières lueurs
A ce moment précieux où s’éveille le monde
J’ensemencerai ta tombe d’un parterre de fleurs
D’où naîtra un bouquet de ma peine profonde.
Pour combien de péchés, combien de sortilèges,
Combien de rédemptions pour que ce poids m’allège ?
Quelque soit le verdict, quelque soit la sentence,
J’expierai mes fautes, je ferai pénitence.
Comme de vieux marins nous rejoindrons le bord
Conscients de nos destins nous viderons la cale
Regarderons s‘éloigner les lumières du port
Pour l’ultime voyage, pour la dernière escale.
Je larguerai les amarres, je hisserai grand les voiles
Passer une dernière fois la barrière de corail
Cap droit sur l’océan, plein ouest vers les étoiles
Vers l’éternel sommeil… briser le gouvernail.