Te souviens-tu, ma mie, nos jeux du temps jadis,
Nous parcourions les bois, innocence d'enfants,
Oû nous allions cueillir dans l'arrière-printemps
Des bouquets d'anémones mêlées de fleurs de lys.?
Souviens-toi ce mélange de parfum odorant
Quand la flore s'étend, que le soleil décline,
Timide je décrochais les fleurs de cardamine
Sur ta jupe en chambray soulevée par le vent.!
Tu te souviens, je crois, de mes tendres approches,
De tes sourires en coin, de tes rires moqueurs
Quand ma main s'approchait bien trop près de ton cœur,
Je m'en allais rageur les poings au fond des poches.
Je me souviens, oh oui, de tes taches de rousseurs,
Que mes amis raillaient, mais qui me plaisaient tant,
Et quand tu enrageais, du haut de mes dix ans,
Je les défiais, furieux, d'un doigt accusateur.
Souviens-toi mes histoires de monstres légendaires,
Dans les sentiers morbides de la ferme familiale
Ou les arbres ancestraux des forêts domaniales
Donnaient à mes récits une macabre atmosphère.
J'ai gravé nos prénoms sur l'écorce d'un chêne
Ou bien d'un sycomore, ma mémoire n'est plus,
Et sur un lit de mousse tendrement étendus,
La brise était légère et la forêt sereine.
Je me souviens surtout la fin de notre histoire,
Où cette rentrée septembre, on m'a changé d'école
Mon père dut quitter le domaine agricole
Pour rejoindre la ville: j'ai fait semblant d'y croire.
Non, nous ne boirons plus l'eau glacée des fontaines,
Ni nous ne flânerons dans les sous-bois vermeils,
Nous n'écouterons plus la forêt qui s'éveille
Moi, enfant d'employé, toi jeune chatelaine.